Chez Spiko, nous sommes convaincus que la tokenisation va bouleverser le fonctionnement des infrastructures du système financier durant la décennie à venir. L’objectif de cet article est de vous expliquer ce qu’est la tokenisation et ce qui nourrit notre conviction. Nul besoin d’être un expert de la plomberie financière, nous repartons de zéro !
Le fonctionnement d’un virement bancaire
Pour comprendre cette révolution qui arrive, il faut avoir en tête le fonctionnement et les limites du système actuel. Démarrons donc par l’opération financière de base : le virement bancaire.
Imaginons qu’Alice souhaite faire un virement de 10 000 EUR à Bob. Alice a son compte chez BNP Paribas et Bob a son compte à la Société Générale. BNP Paribas dispose d’un logiciel interne pour gérer le solde des comptes de tous ses clients. Admettons qu’il s’agisse d’Excel (en pratique, le logiciel utilisé par BNP Paribas est bien plus sophistiqué). De même, la Société Générale a son propre logiciel, supposons LibreOffice.
Lorsque BNP Paribas reçoit d’Alice son ordre de virement, la banque réalise deux opérations :
- Elle informe la Société Générale via un système de communication inter-banques qu’elle va lui transférer 10 000 EUR correspondant au virement d’Alice vers Bob.
- Elle soustrait dans son Excel 10 000 EUR sur le compte d’Alice.
La Société Générale reçoit alors le message de BNP Paribas et fait également deux choses :
- Elle ajoute dans son LibreOffice 10 000 EUR sur le compte de Bob.
- Elle informe Bob qu’il vient de recevoir un virement.
Mais il manque alors un maillon essentiel dans cette séquence : le transfert effectif de l’argent entre BNP Paribas et la Société Générale. Ce transfert est réalisé au niveau des comptes de BNP Paribas et de la Société Générale à la banque centrale. Concrètement, BNP Paribas envoie à la fin de la journée 10 000 EUR depuis son compte ouvert à la banque centrale vers le compte de la Société Générale ouvert à la banque centrale. La banque centrale dispose quant à elle de sa propre technologie pour gérer les comptes de ses clients, disons par exemple GoogleSheets.
Le schéma ci-dessous résume ce qui vient de se passer. Techniquement parlant, le virement a nécessité des écritures dans trois bases de données différentes : Excel (BNP Paribas), LibreOffice (Société Générale) et GoogleSheets (banque centrale).
Les systèmes de communication entre banques
Pour que ce système fonctionne, il est impératif que les écritures dans ces trois bases de données se déroulent successivement et correctement. C’est pourquoi d’énormes investissements ont été alloués au développement de systèmes de communication inter-banques.
- Pour les virements internationaux, le système de communication le plus utilisé aujourd’hui s’appelle SWIFT. Plusieurs dizaines de millions de messages circulent sur ce réseau chaque jour.
- Pour les virements nationaux, chaque pays ou zone économique a développé un système de messagerie propre. Par exemple, les Etats-Unis ont le système ACH et la zone euro le système SEPA.
- D’autres systèmes de communication ont été développés pour les transferts reposant sur les cartes bancaires, comme CB en France, Visa ou encore Mastercard. Leur fonctionnement est proche de notre schéma ci-dessus avec quelques complexités supplémentaires liées à la présence des cartes et des terminaux de paiement.
Ces systèmes sont des prouesses techniques sans lesquelles les tâches de synchronisation des bases de données des banques qui permettent les transferts d’argent seraient bien plus ardues. Mais ils présentent néanmoins des défauts notables :
- Ils sont lents. Vous avez l’impression de payer un commerçant instantanément avec votre carte bancaire, mais ce dernier ne reçoit en réalité votre argent que plusieurs jours après la transaction.
- Ils ne sont pas disponibles en continu 24h/24, 7j/7. Les virements ne passent pas le week-end, la nuit ou les jours fériés. Récemment, SEPA a été fermé pendant quatre jours au moment du week-end de Pâques.
- Enfin ils sont coûteux. Ces coûts ne sont pas toujours visibles au quotidien, notamment car les virements SEPA et les cartes bancaires sont souvent gratuits pour les particuliers. Mais ils sont en réalité répercutés par les commerçants dans les prix des biens et des services que vous achetez.
Pourquoi ne pas plutôt utiliser une seule et même base de données partagée ?
Imaginons maintenant qu’Alice fasse un virement à Charles qui est, comme Alice, client de BNP Paribas. Ce virement est instantané et peut avoir lieu à n’importe quelle heure. La raison est simple : il n’y a plus besoin de synchroniser différentes bases de données avec un système de communication inter-banques puisque le virement est réalisé au sein de l’Excel de BNP Paribas.
Pourquoi donc ne pas simplifier drastiquement le système et utiliser ce même modèle à l’échelle de toute l’économie ? C’est facile à dire, mais très compliqué à mettre en place. On peut imaginer deux principales options :
Option 1 : Tout le monde a un compte à la banque centrale. Cette solution, qui consisterait à ne plus dépendre de banques commerciales faisant l’interface entre le client final et la banque centrale, pourrait techniquement fonctionner. Elle présente toutefois des défauts importants. En effet, pour des raisons autant économiques que politiques, il est sain que des établissements financiers privés puissent exister et être en concurrence.
Option 2 : Faire en sorte que les banques utilisent toutes la même base de données partagée. Cette option est la plus prometteuse et fait l’objet de nombreux travaux à l’heure actuelle, y compris au niveau de la Banque de France qui fait figure de pionnière parmi les banques centrales sur ce sujet. Dans l’industrie financière, on parle de “tokenisation”, car cette option suppose techniquement de représenter un euro par un jeton (token) qui s’échange sur une base de données partagée à l’instar d’une blockchain. Tout l’enjeu consiste à développer des technologies de base de données à la fois distribuées et capables d’opérer à grande échelle.
Chez Spiko, nous sommes convaincus que l’option 2 va transformer en profondeur le système financier. Notre conviction est que les technologies qui l’emporteront seront ouvertes et fonctionneront avec des protocoles open source accessibles à tous, à l’instar d’Internet aujourd’hui.
Qu’est ce que la tokenisation va changer dans votre vie ?
La tokenisation est susceptible de mettre fin aux limites du système actuel. Cela signifie concrètement :
- Des transferts et paiements instantanés généralisés, partout dans le monde, quel que soit le montant, la devise ou encore les banques concernées ;
- Les coûts de ces transferts drastiquement réduits ;
- Des infrastructures financières qui opèrent en continu, peu importe l’heure de la journée ou le jour de la semaine.
Pour autant, si votre expérience des services financiers s’en trouvera largement améliorée, les interfaces dont vous avez l’habitude devraient rester les mêmes car la tokenisation de l’infrastructure financière n’a pas vocation à être visible des utilisateurs. Tout comme vous ne vous demandez pas aujourd’hui quelle technologie de base de données utilise BNP Paribas ou Société Générale, vous ne vous demanderez pas demain sur quelles infrastructures de nouvelle génération elles s’appuieront pour opérer leurs services.
Et Spiko dans tout ça ?
Pour comprendre le produit que construit Spiko, il faut maintenant se demander ce qu’il se passe non pas au niveau des virements bancaires mais au niveau des achats/ventes d’instruments financiers. Autrement dit ce qu’il se produit si Alice veut non plus faire un virement à Bob mais par exemple acheter une action Danone que possède Bob. Cette opération est nettement plus complexe qu’un virement, et elle fera l’objet du prochain article de cette série 😊
Vous voulez en savoir plus ? Nous vous recommandons la lecture de l’excellent rapport de la Banque de France intitulé « Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale »